Périscope,  Poèmes

Editions Henry Fagne, Bruxelles, 1977

 

 

Extraits


Préface; La poésie réside chez les trop rares amants d'images fournies par une langue juste. Images dont la saveur est assez suave et la vigueur assez charnue pour nourrir l'imaginaire commun, ce monde famélique.

 

Mes textes ne sont, sans aucun doute, pas tous des poèmes, même si a la poésie je tiens de toutes mes fibres.

 

Dans mon second recueil Fil à plomb, publié chez Henry Fagne, je formulais un souhait : “Quand j'émergerai de la boue des eaux-mères” ; je mentionnais par-là cette tâche de dégagement, obscure et primordiale, sans laquelle tout essai pour s'entendre est vain.

 

Mais le poète n'a pas à s'approprier son travail. Livrés, les textes suivent leur propre itinéraire.

 

Mon souhait profond demeure d'avoir exprimé du vécu.

 


Survie

 

Au creux de la vague,

au gré des abîmes,

au sus des minutes

bat l'âme désenlisée.

Le sang bute et frappe

une chair froissée,

bute et cogne

une cervelle sous globe.

Dans le monde des synapses,

au pouls de l'espèce,

aux sucs de l'espace

s’ébauche de la pulpe d'api.

Ailleurs,

il pleut du rêve

au pied des tamaris.

La vie quelque part est pourpre.

Ici, on franchit le cap.

 

L'ocre

 

L'ocre maçonne des îles,

ourle des criques

et sillonne les longs fleuves d'Asie

Il baigne d'un fond de teint miel

la flore estivale,

soufre les pêches,

grille les landes

cisaillées de chaumes

et porte aux nues

l'ambre des ceps.

Il roussit les taillis,

fourbit le gibier,

dore les brumes citadines

et savoure

en soliste

ses propres braseros.

 



Le mauve

 

En touches violines,

sur l'aile du manque,

le mauve déploie ses étoles

et ses fards pour chairs lasses.

Il embaume des saveurs d'herbiers,

feutre des vertiges d`alcôves,

bâtit des sursis,

trame des souhaits

près d'un pied de lampe.

Améthyste des années trente.

 

Le vert

 

Le vert jette à l'aube

son cri de volières,

amarre les mousses,

fouille dans le gras des fourrages,

et le buis des lacs lisses

bronze à l'heure de midi.

Les bras des chênes

éventent la nuque des graminées

et des boutures s'étirent

en brasses confuses

après la sieste.

Sur l’herbe à mille faciès

surgit un œil de jade.

L'oasis se prépare

à la venue du soir.

Le vert est naja,

hampe, franges, pousses,

langue capillaire de sérail.


Roublev ( A  Antoine)

 

 

Chantre clément du Très-Haut,

 

grand imagier des Séraphins,

 

chaud coloriste des Trônes,

 

quand on appelait isbas des granges,

 

que les moujiks tremblaient de froid

 

que les grands-ducs fondaient, abrupts,

 

au cœur des chenils faméliques,

 

que les tsars avaient grand’peine

 

à tenir de partout les rênes,

 

que les Tatars éventraient les églises

 

et que tes frères, Roublev,

 

jouaient au plus forts

 

dans leurs repaires de moines pilleurs,

 

quand les terres de toutes les Russies

 

étaient bâchées d’indigence,

 

toi, patient voyageur, peintre impénitent,

 

souffrant de langueur et du grand mal,

 

tu pleuras avec l’esprit du cœur

 

devant un jeune fondeur de cloches

 

et puisas la force d’étaler tes couleurs,

 

à cause des pauvres et des loqueteux,

 

pour leur donner l’idée de l’or et des bleus.

 

EN-CORPS,                               Librairie Le Pont de l'Epée,1984

Extraits


Le poète s'absente pour interroger le monde.

Il invoque les dieux auxquels il ne croit plus.

L'appel est fonction de sa survie. Du constat des

choses il imagine, suppose et se délivre car les choses

s'animent quand on les nomme.

 

Nommer, c'est sortir des mots. Détacher du

magma universel des lieux, des espaces, puis des

corps dont la différence finit par s'imposer dans une

nouvelle vision du monde.

 

C'est peut-être là l'objet du poème, le lien entre les

choses et les êtres évident.

 

L'évidence, elle surgit après les fouilles et les sapes,

pépites, dans la densité du texte marié au rythme.

Elle subjugue, elle demeure à travers les âges.

L'art, peut-être...