Bourriche à poèmes, 1969

Extraits


Père Lachaise

 

 

 

c’est l’agonie des facéties

 

la dérobade aux avatars

 

la fantasia des grands gisants

 

avec leur fétiches entêtants

 

les mosquées sont réduites

 

les temples dérisoires

 

le marbre cher

 

les fleurs rares

 

la pompe se fige sans retard

 

et suspecte les pignons ras

 

un bail expire

 

des mitoyens litigent

 

de la vanité à perpétuité

 

du lierre cramponne des dalles branlantes

 

une dame sans age grapille pour sa soupe

 

du soir une touffe de pissenlit tendre

 

des enfants fourragent le ventre

 

de tombes sans conséquences

 

c’est l’heure glabre des suaires

 

le vide vous barre à coups de misère

 

on est sifflé comme dans une gare

 

à la porte le quart des civilitudes

 

vous pousse à l'échappatoire.

 

 

 

Où s’il vous plait,  Poèmes

José Millas-Martin Editeur, 1971, Collection Grand Fond

 

Extraits


DAMME

 

 

Damme est morte. Sa nef décapitée.

 

Ses dalles glaciales charrient des litanies

 

de scapulaires de l’ère sacrale

 

le clergé de céans a pourri

 

et la prévôté et les marchands

 

comme la carcasse des chalands.

 

Les ancres ont noué des alliances

 

dans le sable des canaux évincés.

 

Damme est un trône d’abstinence

 

une poignée de manants manie

 

la truelle rince les ruelles

 

ménageant des chaussées dérisoires

 

pour les retours d’abreuvoir

 

une brise friponne les draps de dot

 

des volets se closent sur des alcôves

 

à jamais dépourvues de secrets.

 

L’angélus est las il n’y a plus de répondants

 

la croix des morts a chevauché

 

fierté de vierges et modestie de nonnes.

 

Reste l’enceinte féodale

 

Grosse d’histoires à toutes épreuves

 

seul le vent de Bruges a scellé

 

grâces de vêprée aux arbres racés

 

joyaux fameux de prieuré.

 


LES CÈDRES DU LIBAN

 

La nuit tombe sur les cèdres du Liban

 

sur le trésor des bien-pensants

 

la nuit tombe sur les gloires locales

 

ration de bridge ration d'honneur

 

la nuit tombe somptueusement

 

sur ce manège de morts vivants.


LA NEVROSE

 

La névrose

 

a le glauque de l’impasse

 

et le gauchis des émois

 

elle s’incruste comme kyste

 

et distille un fiel tenace

 

à contre joie.

 


POÈTES MAL NÉS

 

 

Poètes mal nés

 

des saisons foraines

 

caves et blêmes

 

sont les veaux d’abattoirs

 

vos abattis mal soudés

 

vos crânes survoltés

 

vos fontanelles molles

 

branlant de drogues

 

éclatent aux chocs

 

de la sécurité sociale

 

le mal d’écrire échine

 

comme la faim de vivre

 

comme le goût d’amour

 

comme un haut-le-cœur de papier

 

qu’on flanque tout en sueurs

 

dans les bras de seine morts

 

poètes mal nés

 

mendiant du regard

 

la fièvre des cafés

 

la soucoupe à gros sous

 

pour un doigt de bagout

 

vous pousse au dégueuloir.

 


 

LA MAGIE

 

 

Quand les Anglais trucidèrent Jeanne

 

que les pendus barraient les chemins

 

que les miroirs étaient d’étain

 

et les patates aux Amériques

 

quand les soldats étaient de plomb

 

et les châteaux froids comme des cryptes

 

quand les batailles avaient des noms

 

et les peintres des mécènes

 

quand les Bretons avaient leur langue

 

et l’Espagne des pots d’épices

 

quand les écus étaient sonnants

 

et que les papes fautaient en chaîne

 

quand Compostelle chiadait son homme

 

la magie étaient une reine

 

qui couvrait les prélats de dentelles

 

et les sorcières de tisons.