Père Lachaise
c’est l’agonie des facéties
la dérobade aux avatars
la fantasia des grands gisants
avec leur fétiches entêtants
les mosquées sont réduites
les temples dérisoires
le marbre cher
les fleurs rares
la pompe se fige sans retard
et suspecte les pignons ras
un bail expire
des mitoyens litigent
de la vanité à perpétuité
du lierre cramponne des dalles branlantes
une dame sans age grapille pour sa soupe
du soir une touffe de pissenlit tendre
des enfants fourragent le ventre
de tombes sans conséquences
c’est l’heure glabre des suaires
le vide vous barre à coups de misère
on est sifflé comme dans une gare
à la porte le quart des civilitudes
vous pousse à l'échappatoire.
José Millas-Martin Editeur, 1971, Collection Grand Fond
DAMME
Damme est morte. Sa nef décapitée.
Ses dalles glaciales charrient des litanies
de scapulaires de l’ère sacrale
le clergé de céans a pourri
et la prévôté et les marchands
comme la carcasse des chalands.
Les ancres ont noué des alliances
dans le sable des canaux évincés.
Damme est un trône d’abstinence
une poignée de manants manie
la truelle rince les ruelles
ménageant des chaussées dérisoires
pour les retours d’abreuvoir
une brise friponne les draps de dot
des volets se closent sur des alcôves
à jamais dépourvues de secrets.
L’angélus est las il n’y a plus de répondants
la croix des morts a chevauché
fierté de vierges et modestie de nonnes.
Reste l’enceinte féodale
Grosse d’histoires à toutes épreuves
seul le vent de Bruges a scellé
grâces de vêprée aux arbres racés
joyaux fameux de prieuré.
LES CÈDRES DU LIBAN
La nuit tombe sur les cèdres du Liban
sur le trésor des bien-pensants
la nuit tombe sur les gloires locales
ration de bridge ration d'honneur
la nuit tombe somptueusement
sur ce manège de morts vivants.
LA NEVROSE
La névrose
a le glauque de l’impasse
et le gauchis des émois
elle s’incruste comme kyste
et distille un fiel tenace
à contre joie.
POÈTES MAL NÉS
Poètes mal nés
des saisons foraines
caves et blêmes
sont les veaux d’abattoirs
vos abattis mal soudés
vos crânes survoltés
vos fontanelles molles
branlant de drogues
éclatent aux chocs
de la sécurité sociale
le mal d’écrire échine
comme la faim de vivre
comme le goût d’amour
comme un haut-le-cœur de papier
qu’on flanque tout en sueurs
dans les bras de seine morts
poètes mal nés
mendiant du regard
la fièvre des cafés
la soucoupe à gros sous
pour un doigt de bagout
vous pousse au dégueuloir.
LA MAGIE
Quand les Anglais trucidèrent Jeanne
que les pendus barraient les chemins
que les miroirs étaient d’étain
et les patates aux Amériques
quand les soldats étaient de plomb
et les châteaux froids comme des cryptes
quand les batailles avaient des noms
et les peintres des mécènes
quand les Bretons avaient leur langue
et l’Espagne des pots d’épices
quand les écus étaient sonnants
et que les papes fautaient en chaîne
quand Compostelle chiadait son homme
la magie étaient une reine
qui couvrait les prélats de dentelles
et les sorcières de tisons.